Table des matières
Pourquoi les camionneuses du Québec n’ont pas accès au retrait préventif ?
Le printemps dernier, vous êtes nombreux à avoir suivi attentivement mes interventions dans le dossier du retrait préventif pour les camionneuses du Québec. Beaucoup d’entre vous m’ont soutenue, m’ont écrit des mots d’encouragement, m’ont dit vouloir s’impliquer. Mais combien ont pris le téléphone pour parler à leur député de cette situation injuste?
Plusieurs ont donné leur opinion sur le sujet sans vraiment savoir de quoi il était question. D’autres ont ri de la situation en me répondant que nous avions juste à faire un autre métier : d’ailleurs, vous faites partie de ceux qui n’ont pas pris le temps de lire sur la cause.
Pour tous ceux qui ont le bien-être des camionneuses du Québec à cœur, ainsi que pour tous ceux qui n’ont jamais entendu parler de cette problématique le printemps dernier, voici un court rappel des étapes de mon combat.
Mai 2021
Au mois de mai dernier, mon visage et mon nom ont publiquement été associés à cette cause. En effet, on m’a présentée dans les divers journaux et magazines ainsi que dans un reportage télé sur Noovo le Fil.
De quoi est-il question? Les camionneuses du Québec n’ont pas accès au retrait préventif. Difficile à croire, pourtant cela demeure la triste réalité. Le programme de la CNESST « Pour une maternité sans danger », qui couvre 100% des femmes dans les autres quarts de métier, n’est pas accessible dans le domaine du transport. Est-ce juste?

Qu’est-ce que ce programme?
Le programme québécois « Pour une maternité sans danger » est administré par la CNESST. Il est conçu pour permettre aux travailleuses québécoises d’avoir une grossesse sans risque.
Lorsque nous sommes enceintes, plusieurs éléments peuvent être considérés comme susceptibles d’affecter notre santé et notre sécurité, et évidemment celle de notre enfant. Certains métiers sont reconnus comme dangereux pour le fœtus dès le premier trimestre. Je pense notamment à aux femmes qui sont des éducatrices spécialisées, à celles qui accomplissent différents types de travail physique ainsi qu’à celles qui œuvrent dans le système de santé.
Lorsque le médecin juge que votre travail comporte des risques pour votre futur bébé, un billet médical demandant un retrait préventif vous est remis et une enquête est ouverte au niveau de la CNESST pour valider le tout. Si l’infirmière mandatée par la CNESST déclare que votre métier est à risque, vous serez couverte. Tel est le fonctionnement du programme.
Les travailleuses qui font une telle demande sont couvertes à 90% de leur salaire tout au long de leur grossesse par la CNESST. Les paiements prennent fin à la 36e semaine de grossesse. Par conséquent, ces travailleuses n’ont que 4 semaines de salaire à mettre de côté pour palier aux semaines sans solde (en fait, c’est entre 1 et 6 semaines, si vous accouchez entre la 37e et la 42e semaine)
Camionneuses québécoises
La majorité des compagnies de transport par camion au Québec livrent dans d’autres provinces, voire à l’international. Les compagnies qui ne sortent pas du tout du Québec sont très rares. Pour livrer à l’extérieur du Québec, une compagnie de transport doit s’enregistrer sous juridiction fédérale, même si le port d’attache est situé au Québec.
La CNESST est un programme PROVINCIAL. Étant enregistrées sous juridiction fédérale, les compagnies ne sont pas obligées d’adhérer au programme « Pour une maternité sans danger ». Ainsi, les travailleuses sont indemnisées par la CNESST en cas d’accident au travail, mais la grossesse n’est pas couverte.
Puisque les compagnies ont le choix de payer ou non « la prime grossesse », il est évident que celles-ci prennent la décision de sauver de l’argent et de ne pas couvrir leurs travailleuses. C’est légal et normal qu’elles fassent ce choix. Si on vous proposait de sauver un million de dollars par année en ne couvrant pas vos chauffeuses représentant la minorité de vos employés, le feriez-vous? Bien sûr que oui!
La faute revient principalement au gouvernement qui n’IMPOSE pas aux compagnies de couvrir leurs femmes, comme c’est le cas dans tous les autres types de métiers…

Mais encore…
Les compagnies ont aussi leur part de responsabilité dans cette situation. En effet, en plus de « biffer » le programme « Pour une maternité sans danger » dans leur contrat avec la CNESST, elles décident de NE PAS ADHÉRER aux assurances privées.
Si, au moins, elles avaient l’obligation d’adhérer d’un côté ou de l’autre, les camionneuses ne seraient pas prises dans un trou sans fond. Bien que l’invalidité courte durée couvre 70% du salaire pendant 16 semaines, ce qui n’équivaut pas au 90% de la CNESST, les compagnies n’assurent pas la grossesse dans leur contrat en invalidité longue durée.
Une grossesse, ça dure 40 semaines : 16 semaines en courte durée, ce n’est pas SUFFISANT et ce n’est pas équitable comparativement à ce que toutes les autres Québécoises ont le droit d’obtenir avec la CNESST.
Crier à l’injustice
En mai dernier, j’ai crié à l’injustice sur toutes les plateformes médiatiques. Plusieurs ne comprenaient pas pourquoi la loi est ainsi faite : les députés provinciaux en faisaient partie. Pourquoi une travailleuse dans un restaurant McDonald’s, une devise américaine à la base, est couverte pour sa grossesse, mais pas les camionneuses québécoises?
Pourquoi toutes les infirmières, préposées aux bénéficiaires, professeures, éducatrices, travailleuses dans les écoles incluant les secrétaires ou encore n’importe quelle travailleuse québécoise, y ont droit, mais pas les camionneuses?
Pourtant, notre métier est considéré bien plus dangereux pour le fœtus que certains quarts de métiers couverts par le programme… Voilà l’injustice que je tente de dévoiler au grand jour depuis un an maintenant.

Impacts
Le fait de ne pas avoir accès au programme amène les camionneuses à prendre des décisions importantes. Nous devons choisir entre travailler au risque de causer des dommages irréversibles, voire la mort de notre bébé, ou prendre un congé sans solde de 9 mois pour avoir une maternité sans danger.
J’ai pris la décision de protéger mon enfant. Malheureusement, ce ne sont pas toutes les chauffeuses qui peuvent prendre cette décision. Certaines m’ont d’ailleurs rapporté qu’elles avaient décidé de mettre un terme à leur grossesse parce qu’elles ne pouvaient pas arrêter de travailler pendant 9 mois, sans avoir un salaire.
Pourquoi, nous, camionneuses, n’avons pas le droit de vivre une maternité sans stress monétaire comme toutes les autres femmes du Québec? De plus, le stress est mauvais pour le bébé : c’est connu. Une femme m’a dit qu’elle avait perdu son enfant à cause du stress occasionné par la situation.
Plusieurs m’ont dit avoir changé de métier pour pouvoir fonder une famille, d’autres ont fait des fausses couches parce qu’elles voulaient continuer à faire leur métier de rêve. C’est extrêmement difficile de prendre la bonne décision lorsqu’on se trouve dans cette situation.
Mon parcours pour dénoncer la situation
J’ai investi énormément de temps et d’émotions pour faire changer les choses. Je suis une travailleuse québécoise, qui habite à Québec et dont l’employeur se situe à Québec. Je trouve cela injuste de ne pas être couverte comme toutes les autres Québécoises.
J’ai d’abord tenté de régler la situation avec les gouvernements (provincial et fédéral) en parlant à mes députés de circonscription. Contre toute attente, ils n’étaient même pas au courant de la situation, ni l’un ni l’autre.
Le gouvernement fédéral a fait une enquête approfondie pour finalement me répondre que c’est au provincial que la situation doit être réglée; le fédéral n’a aucun pouvoir sur la CNESST. Au provincial, personne n’a pris le dossier en main, personne ne veut investir du temps et de l’énergie Par la suite, j’ai écrit un court texte dénonçant la situation et j’ai demandé l’aide des autres camionneuses. Ce texte a gentiment été publié sur les réseaux sociaux (une grosse page de camionneuses québécoises), ce qui m’a donné assez de visibilité pour susciter l’attention des médias conventionnels.
Cette visibilité m’a fait progresser à un tel point que le sujet a été abordé dans le Journal de Québec et qu’un reportage a été présenté à la télévision (Noovo le Fil). Puis, l’Association du camionnage du Québec s’est penchée sur le dossier et a organisé une rencontre pour que nous discutions du dossier. Depuis, aucune nouvelle…
Un an plus tard, me voilà encore en train d’investir temps et énergie pour écrire cet article et pour dénoncer, une fois de plus, la situation dans les médias.

État d’esprit
Au printemps dernier, laissez-moi vous dire que je ne trouvais pas la situation amusante. J’ai éprouvé de la tristesse, de l’impuissance, de la colère, de la frustration… À un moment, j’ai eu une lueur d’espoir, malheureusement suivie de découragement.
Des larmes à n’en plus finir, de l’insomnie, du stress, une perte d’appétit dangereuse et une mauvaise humeur constante faisaient partie de mon quotidien. Je me compte chanceuse d’avoir été forte pour mon bébé et de ne pas avoir sombré dans la dépression.
Imaginez que vous vous leviez tous les matins sans salaire, avec cette vie qui grandit peu à peu en vous. Comment faire pour vous approvisionner en vue de son arrivée? Par chance, je suis très bien entourée et j’ai reçu énormément d’aide, mais ce n’est pas le cas pour toutes.

Campagne 10%
Pour finir, parlons de ce fameux programme 10% qui a été instauré au printemps 2019. Créé par le gouvernement en partenariat avec les écoles subventionnées ainsi que l’Association du camionnage du Québec, ce programme vise à attirer plus de femmes dans le métier.
En effet, des affiches de toutes sortes, des publicités sur les médiaux sociaux et conventionnels ainsi que des camions à l’effigie de la cause sont extrêmement visibles depuis 2 ans. Vous avez probablement déjà vu les gros 53’’ roses affichant le défi 10% ainsi que le visage d’une femme. Ce sont les camions du CFTC et CFTR.
Partout au Québec, le gouvernement tente d’attirer plus de femmes dans le métier. Cependant, il ne les prévient pas sur ce qui les attend une fois dans le métier. Quelle ironie de vouloir plus de camionneuses, alors que vous ne nous donnez pas le droit de fonder une famille comme les autres Québécoises…
En mai 2021, nous avons tenté de faire changer la loi en s’appuyant sur cette contradiction, mais les politiciens ont survolé le dossier. Si vous ne voulez pas améliorer la condition des femmes dans le métier, ne les incitez pas à se jeter dans la gueule du loup!
Il y a un an, nous étions 4% dans le métier. Aujourd’hui, les écoles de conduite comptent parmi leur rang 1 500 élèves par année, dont 20% sont des femmes! Nous sommes plus de 1 600 femmes au Québec privées de nos droits pour une grossesse sans risque, et vous faites une campagne pour accroître notre nombre !!!
Ça n’a plus de sens, il faut que ça change.

Quelle sera la suite?
Les deux paliers de gouvernement tentent d’ignorer la situation; ils préfèrent que l’on se taise. Plus on en parlera, plus ils décideront enfin de faire quelque chose. Les prochaines élections sont au mois d’octobre 2022… APPELEZ VOS DÉPUTÉS PROVINCIAUX.
Plus nombreux seront les appels, plus de gens seront au courant et meilleures seront nos chances que la loi soit modifiée en notre faveur. Telle est la recette secrète.
Aujourd’hui, avec du recul, je vois la situation autrement. Je suis déterminée à aider les camionneuses du Québec. J’ai l’intention d’en parler jusqu’à ce que nous soyons traitées de la même manière que sont traitées les autres travailleuses québécoises.
Bien que j’aie conscience qu’être la porte-parole de cette cause pourrait éventuellement me causer des ennuis, quelqu’un doit porter le flambeau pour que l’injustice cesse. Si mes démarches portent fruit un jour, je pourrai dire que j’ai amélioré l’avenir de toutes les camionneuses du Québec.
Seule dans cette bataille, je ne fais pas le poids, j’ai besoin de votre aide à tous… Je le répète, appelez vos députés de circonscription. Si les travailleuses de la construction ont réussi à modifier la loi à l’été 2021, nous le pouvons aussi! Il suffit d’une seule personne pour nous épauler au niveau politique.
C’est avec un cœur lourd que je vous dis : « à suivre »…
Alexanne G.

1 Commentez
Salut ! Je suis nouvelle dans le camionnage! Ton article m’a beaucoup inspirer. Je prévois avoir des enfants.J’ai appris la triste nouvelle d’etre une femme dans le camionnage. J’aimerai contribuée dans cette bataille!