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Hors-norme, plein gaz
Je m’appelle Pénélope, j’ai 26 ans. Je suis photographe, tatoueuse, membre fondatrice des Durs à Queer et je mesure cinq pieds deux. Petite, peut-être, mais j’ai toujours eu une drive immense.
Je viens d’un drôle de croisement : rapproché, une famille d’artistes outcasts un peu nerds, et d’un peu plus loin, à La Tuque précisément, du vrai bon monde, pour qui les moteurs de bateaux et les « traileûrs » sont des sujets de discussion aussi importants que la météo.
C’est chez mes cousines et mes oncles que je vais quand je veux voir le Saint-Maurice, parler de ma Harley, ou manger un frite-o-loups.
L’amour des sports motorisés a comme sauté une génération. Il était là, dans le sang, en veille. Et un jour, il s’est réveillé en moi — la bibitte, comme on dit.

La Piqure
J’ai fait mon premier (et seul) tour de moto à l’âge de 12 ans, avec mon oncle Sylvain, sur la route 155. J’étais haute comme deux caisses de pommes — une de moins qu’aujourd’hui. Ce moment-là, c’était une révélation.
Le vent dans mes cheveux, l’odeur du gaz, la sensation brute de la route. J’étais scotchée à l’arrière de la moto, les bras trop courts pour m’agripper comme il faut, mais le cœur gonflé comme si j’avais trouvé un bout de ma vérité.
Ce qui m’a le plus marquée, c’est quand j’ai vu mon oncle saluer un autre biker sur la route. Un petit geste de la main, naturel, respectueux.
Je lui ai demandé : « C’est qui, ton ami ? » Il m’a répondu : « Aucune idée. C’est juste ça qu’on fait en moto. On se salue. »
Ça m’a frappée. Cette idée d’un respect entre inconnus, juste parce qu’on roule sur deux roues, m’a habitée depuis. Encore aujourd’hui, la première fois qu’on me fait le salut chaque saison, j’ai une petite larme qui monte. Parce que ça veut dire : « Je te vois. Je te respecte. Reste en sécurité. »
À 12 ans, j’avais goûté à quelque chose de trop grand pour moi à l’époque, mais j’ai passé les années suivantes à courir après ce feeling.
L’appel de la route
Je l’ai toujours su : les motos, les tattoos, la marge, c’était mon monde. Je n’ai jamais vraiment « fitté ». Trop différente, trop colorée, trop queer, trop moi.
Et c’est correct.
J’ai longtemps essayé de rentrer dans des moules, de me faire plus petite pour que les autres soient à l’aise. Je me suis rendu compte que mon existence était aussi importante que celle des autres, et que je méritais pleinement d’être entendue.
J’allais finir par la trouver, ma place.

Et c’est finalement sur deux roues que j’ai commencé à la tracer pour de vrai. Parce que dans ce monde-là, j’ai découvert une façon de vivre qui me ressemblait. Une sorte d’appel du large.
Il y a quelque chose de libérateur dans le monde de la moto : c’est un refuge pour les rebelles, les libres, les gens qui vivent à leur façon, peu importe ce qu’on en pense.
Quand j’ai commencé à rouler, c’était pour moi. Pas pour plaire, pas pour impressionner, mais pour me retrouver. C’est devenu ma façon de me « grounder », de respirer pour vrai. La moto me rappelle chaque jour que la vie est fragile, que rien n’est garanti.
Alors tant qu’à être ici, aussi bien vivre intensément. Sentir, vibrer, foncer.
Depuis que je fais de la moto, je vis plus fort. Je savoure chaque petit moment, chaque ride, chaque coucher de soleil sur une route sinueuse. Et surtout, j’ai rencontré des gens exceptionnels. Des âmes libres, profondes, inspirantes. Des frères et sœurs de gaz, comme j’aime les appeler.
La naissance des Durs à Queer
C’est à l’été 2022 que tout a vraiment pris forme. Une soirée dans Hochelaga, un party un peu flou, et ma meilleure amie qui me dit : « Hey, viens j’te présente Will et Jord. Ils font de la moto et ils sont queers aussi. »
Deux mots magiques. Moto. Queer. J’ai senti mon cœur « rusher », une espèce de frisson dans la colonne. Je n’étais pas seule.
On a parlé toute la soirée : de rides, de coming-out, de nos « bicycles ». Et surtout, ils me lancent le nom qu’ils venaient juste d’inventer : Les Durs à Queer. Coup de foudre.
Je leur dis : « Je veux embarquer. Dites-moi ce que je peux faire. » Une semaine plus tard, je les relance : je veux dessiner le logo. Je veux que mon art roule avec vous.

Après une vingtaine de versions, on se fixe sur le serpent. Symbole de transformation, de force, d’indépendance. Et sans se mentir, ça fait vraiment «badass ». Le logo est né, et avec lui, notre famille.
Trouver sa gang
On commence à en parler autour de nous. Aux meets, dans les cafés, dans les garages. C’est à un meet au Idle Café à Montréal que je rencontre Cyndi Martin, qui nous invite au podcast de Chicks and Machines. À ce moment-là, notre projet est embryonnaire.
On improvise des réponses en ondes, on ne sait pas trop où ça s’en va, mais on sent que c’est vrai. C’est important. On ressent la fierté dans pas mal tous les sens du terme.
Trois ans plus tard, en 2025, on est enregistrés comme un OBNL. On a nos patchs officielles. On a un membre de plus dans le Conseil Administratif, Jules, qui est une vraie star, et une douzaine de motos à chaque sortie.
On a fait des centaines de kilomètres ensemble, vécu des débauches, des orages, des fous rires. Et on trippe toujours un peu plus fort chaque saison.
Aujourd’hui, les Durs à Queer, c’est une famille choisie. Une gang qui roule ensemble, qui se soutient, qui veut ouvrir de la place dans un monde encore trop souvent perçu comme macho, fermé, rigide. On veut que d’autres puissent nous voir et se dire : « Moi aussi, j’ai une place ici. » Et ils auront raison.

Être une femme Queer dans le monde de la moto
On va se le dire : le monde de la moto peut encore être rough. Pas tout le monde est prêt à accepter des identités comme les nôtres avec ouverture. Mais chaque fois qu’on roule ensemble, qu’on arrive à un événement avec nos patchs, nos sourires et nos casques pleins de stickers colorés, on envoie un message : on est là, on est fiers, on mérite notre place, et on n’a pas besoin de permission.
Être une femme Queer dans cet univers, c’est parfois avoir à prouver qu’on a notre place. Mais c’est aussi, de plus en plus, recevoir de la reconnaissance, de la curiosité, du respect.
Il y a du chemin à faire, c’est sûr. Mais chaque personne qui vient nous jaser pendant un évènement pour dire « Wow on avait besoin de ça! », ça nous rappelle pourquoi on fait ça.

Rouler pour exister
La moto, pour moi, c’est plus qu’un moyen de transport. C’est une manière de vivre. Un acte de résistance douce. Une déclaration d’amour à la liberté, à la différence, à la beauté du moment présent. C’est là que je me sens la plus vivante, la plus honnête, la plus moi.
J’ai mes meilleures idées sur ma Sportster, et c’est aussi comme ça que je vais chercher ma clarté quand les pensées deviennent un peu plus mêlées.
Alors si tu me croises sur la route, avec ma gang, des étincelles dans les yeux et un grand sourire dans mon casque : fais-moi un salut. On se connaît peut-être pas, mais on fait partie de la même ride.