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Devenir camionneuse tome 2 : Le parcours d’Alexanne
Qui suis-je?
Vous êtes plusieurs à vous demander qui je suis? D’où je sors? Comment suis-je devenue camionneuse et pourquoi? Tel que promis dans mon précédant article, je vous dévoile ici mon parcours personnel en totalité, sans filtre ni voile. Du début de mes études jusqu’à mes anecdotes personnelles. Je suis Alexanne, une camionneuse du Québec.
Comme mentionné dans mon article de présentation (Briser les préjugés une Alexanne à la fois) vous devez savoir que ce métier n’était pas ma première voie. J’ai en effet débuté mes études post-secondaires en police sécurité. Et oui, je voulais être policière! J’ai étudié un an dans ce programme au Campus Notre-Dame-de-Foy pour me rendre compte que cette branche n’était pas faite pour moi. Bien que je sois une femme avec un bon caractère, j’ai besoin de mettre les choses à ma couleur… Devenir un robot du gouvernement, identique à tous mes compères ne m’intéressait pas.
C’est pour cette raison que je me suis tournée vers mon plan B, les soins infirmiers que j’ai intégré au Cégep Limoilou, un établissement bien plus près de chez moi. J’ai complété deux ans en soins, j’ai aimé cela d’ailleurs, mais il manquait quelque chose… La liberté. J’ai donc décidé de prendre une pause d’étude durant un an pour réfléchir à mon avenir.
Vous ne vous trompez pas, c’est durant cette pause que ma passion camion s’est le plus fait sentir. Ayant des amis dans le métier, j’ai fait plus d’un tour de camion, ce qui me donnait de plus en plus envie de le conduire moi-même! Alors, en septembre 2017, j’ai fait le grand saut et j’ai commencé le DEP en transport par camion au CFTC. La meilleure décision de ma vie.

À quoi ressemble la formation?
J’ai réellement adoré ma formation au CFTC (Centre de formation en transport de Charlesbourg). Puisque je n’étais plus aux études, et que j’avais ma moto et ma voiture à payer, j’ai pris la décision de faire mon DEP de soir. Ainsi, je pouvais concilier travail et étude sans changer mon horaire.
La formation de soir dure 8 mois, incluant le stage de 2 à 4 semaines en entreprise. Le premier mois est temps plein, du lundi au vendredi 18h à 22h. Ce mois n’est QUE de la théorie et de la préparation sur les simulateurs.
Tu apprends le code de la route, les règlements spécifiques aux poids lourds, dont les poids et arrimage entre autres, ainsi que la mécanique. Je ne vous mens pas, le dossier mécanique c’est un survol, mais ça nous donne les outils nécessaires pour comprendre le système de freins pneumatique et le fonctionnement global du camion. Par exemple, la transmission, le Jacob Break, le glissement des essieux etc.
Aussi, nous apprenons à nous servir correctement des cartes routières et des Atlas dans la portion cartographie du cours. Si le GPS n’est pas une option, un camionneur formé au CFTC saura se débrouiller avec des cartes, même aux États-Unis. Pour finir, on nous apprend à utiliser les LogBooks électronique et papier.

Après la théorie vient la pratique…
Les 6 mois suivants, tu vas à ta formation 3 jours par semaine. Le groupe est divisé en deux, certains auront leurs cours pratiques les lundis et mardis 18h à 22h, alors que les autres seront les mercredis et jeudis soirs. Pourquoi je dis 3 jours par semaine? Parce que le samedi, tout le monde est en pratique de 8h30 à 17h. On appelle cet horaire le ‘’20 heures’’.
Les soirs de semaine, nous n’allons jamais bien loin, nous pratiquons spécialement la transmission manuelle, les virages et la gestion des autres usagers de la route. Les premières semaines, chaque élève conduit 1h/soir, puisque nous sommes 4 dans le camion plus l’enseignant. Le samedi, avec un beau 8 heures de cours devant nous, il était possible d’aller pratiquer quelques côtes puisque nous allons plus loin, en région.

Une fois que la moitié des élèves du groupe a obtenu son permis temporaire (ont réussi leur examen sur la route avec l’instructeur de la SAAQ), nous tombons en mode ‘’suiveux’’. Qu’est-ce que je veux dire par là? Deux camions pour un seul enseignant. Et oui, la confiance s’installe entre l’enseignant et ses élèves, car les deux élèves qui se retrouvent seuls dans le camion deviennent les ‘’suiveux’’.
Nous serons en suiveux jusqu’à la fin du cours, mais à un moment vient la portion recherche d’adresses. En effet, vous aurez à vous bâtir un itinéraire en fonction des adresses données et vous devrez vous y rendre sans embûches, sans emprunter de routes interdites aux poids lourds et par le plus court chemin possible. Vous serez guidé ne vous en faites pas.

Il est maintenant temps de vous parler de ma portion préférée
Il vient un moment où, rouler en ville ou en campagne, sur différents reliefs, chercher des adresses et s’y rendre, reculer au doc ou dans les espaces de stationnement dans la cour de l’école, tout cela est acquis. On tombe en ‘’zone grise’’ avant le début du stage.
Pour ne pas perdre l’intérêt des élèves, le CFTC nous fait faire des voyages pédagogiques. Nous partons plusieurs dans un même camion pour ramener chacun notre camion ou inversement! Tomber seul pour la première fois dans cet engin, c’est impressionnant.

Anecdote personnelle
J’ai moi-même eu l’occasion de faire plusieurs voyages pédagogiques. Je suis allée porter des camions à Roberval, en chercher d’autres à Rimouski et pour finir, un voyage à Baie-Comeau qui a nécessité une nuit à l’hôtel..
Attention camionneurs, oui Baie-Comeau se fait en une journée aller-retour, mais pas avec des élèves! Nous arrêtons plus souvent et nous sommes surtout beaucoup plus lents, moins confiants.
Baie-Comeau a été mon plus beau voyage, non seulement je suis partie pour la toute première fois avec un Western Star, mon camion préféré, mais en plus je roulais pour la première fois attelée à un B-train. Nous sommes partis 4 camions, 2 sont montés par le Saguenay, alors que les deux autres par la côte Nord (moi). Arrivés à destination, nous avons emprunté le chemin contraire. Nous sommes partis de Baie-Comeau le lendemain matin avec 6 camions, certains étaient seuls, dont moi avec mon enseignant, toujours avec mon B-train.
Tellement impressionnant dans le temps, dire qu’aujourd’hui j’y vais avec ma bombe les deux yeux fermés!

La fin
Le fameux stage en entreprise est la dernière partie avant d’obtenir le DEP. Comme mentionné dans mon précédant article (Devenir une camionneuse est-ce une bonne ou une mauvaise idée?), il faut choisir son stage avec soin, car il y a de fortes chances que vous soyez engagé par l’employeur à la fin de celui-ci.
Trouver mon stage a été difficile. Depuis le tout début, je rêvais de faire du transport de produits pétroliers. Les compagnies étaient peu ouvertes à accueillir des élèves dû au manque d’expérience combiné aux matières dangereuses. Deux de mes compères ont réussi à entrer chez l’une d’elle.
Bien que je fusse dans le top 10 de mon groupe, trouver un stage en produits pétroliers s’est avéré impossible pour moi, simplement parce que j’étais une femme. Être motivée et avoir de l’ambition ne m’a pas servi malheureusement.

J’ai d’abord essayé au même endroit que mes compères et on ne m’a jamais redonné de nouvelles. Ensuite, je suis allée chez un concurrent, on m’a proposé du dompeur, prétextant que la citerne c’est trop dur physiquement pour les femmes. J’ai terminé ma recherche de stage en transport de produits pétroliers chez une troisième compagnie.
Il y a eu une mauvaise communication à la suite de mon essai routier, on ne m’a jamais dit s’il avait été concluant sur le coup. Après plusieurs semaines, j’en ai conclu que non.
Cependant, 3 jours avant mon stage qui débutait ailleurs, la troisième compagnie m’a rappelé pour me dire de venir chercher mes effets pour débuter ma formation !! Ils me donnaient ma chance!
Puisque je suis quelqu’un de loyal, j’ai pris la décision de faire mon stage à l’endroit qui m’a accepté tout de suite, chez Transport Bernières. Je n’ai jamais fermé la porte aux produits pétroliers, je me suis simplement dit que je ferais mon expérience sur les camions quelques mois avant de me lancer.
Je tiens à mentionner qu’aujourd’hui, les 3 compagnies engagent des femmes et des élèves sans discrimination. Le parcours a été difficile pour moi, mais j’ai servi d’exemple pour les femmes et cela a ouvert des portes.

Mon stage
Mon stage chez Transport Bernières a été très bénéfique. Quand je suis sortie de l’école, j’avais encore beaucoup de difficulté avec la manœuvre de recul…
Mon stage s’est déroulé avec des chauffeurs qui travaillent dans la province de Québec. J’ai fait le tour des épiceries du Lac-Saint-Jean et de la Gaspésie en deux semaines. Je peux vous dire qu’après avoir fait environ 50 portes, tu deviens assez bon du reculons. Surtout qu’au Québec, ce ne sont pas toutes les épiceries qui sont conçues pour accueillir un 53’ !!
Suite à un stage de 2 semaines réussi, j’ai obtenu mon DEP en transport par camion. Transport Bernières m’a proposé un poste permanent sur le provincial. J’ai travaillé pour eux pendant 10 mois, jusqu’aux Fêtes 2018.

Le début de mon plus grand rêve
En novembre 2018, je me présente à la toute première édition du Salon du Camion Lourd de Québec. Je ne m’imaginais pas que ma vie prendrait une autre tournure suite au salon.
Effectivement, à la base, je me suis rendue sur place pour voir les tous nouveaux modèles de camions 2019. En faisant le tour des exposants, je suis tombée sur une compagnie de transport de produits pétroliers que je ne connaissais pas, Transport Norcité.

Ils avaient une démo d’équipement à leur kiosque, un coude clipé sur un ‘’trou’’ portatif et une hausse de 4’ attachée dessus. Ma curiosité l’a emportée, j’ai soulevé l’équipement pour vérifier si c’était trop dur physiquement pour une femme. La suite n’est pas une surprise, l’employeur a constaté ma facilité et a décidé de me recevoir en entrevue.
J’ai enfin signé mon embauche pour un transporteur de produits pétroliers en décembre 2018! Cependant, pour ne pas laisser tomber Transport Bernières pile dans le temps des Fêtes, j’ai commencé chez Transport Norcité en date du 7 Janvier 2019.
Je n’ai jamais été autant épanouie de toute ma vie à mon travail.
Aujourd’hui cela fait 3 ans que je suis à leur emploi et ma passion pétrole ne cesse d’accroître.

Parcours de la Chicks de la raffinerie
Les deux premières semaines de formation ont été les pires physiquement de toute ma vie. J’étais quelqu’un de sportif, de très en forme, mais livrer des produits pétroliers sollicitait des muscles que je n’avais jamais travaillés.
‘’Mon conjoint devait m’aider à mettre mes chandails le matin tellement j’avais les bras endoloris, pire qu’un vaccin!’’
Oui, c’est dur physiquement, mais CE N’EST PAS TROP DUR! Beaucoup m’ont dit que je ne travaillerais pas longtemps, que je partirais au bout de 3 mois comme toutes les autres femmes qui se sont essayées par le passé. Au bout de quelques mois, le bruit s’est répandu auprès des autres compagnies qu’une femme réussissait bien.
J’ai commencé à voir apparaître d’autres femmes à la raffinerie, mais au bout de quelques semaines, on me disait qu’elles avaient laissé tomber, faute d’horaire. Il faut le dire, le transport de produits pétroliers n’est pas seulement difficile pour les muscles, l’horaire est assez atypique.
Nous commençons aux petites heures de la nuit (2h AM) et faisons entre 12 et 14 heures, 5 jours par semaine. Ce n’est pas tout le monde qui réussi à adapter sa vie à ce type d’horaire.

Mon développement personnel
Chaque jour qui passait, je m’épanouissais, je vivais dans mon petit cocon de bonheur au volant de mon Peterbilt 567 2018. Puis, vient le jour où on m’attribue mon tout premier équipement neuf. Depuis l’été 2020, je suis désormais au volant d’un Peterbilt 389 2020 ainsi qu’une citerne neuve! Je n’oublierai jamais ma première journée avec mon nouvel équipement, le tremblement dans mes jambes et la fierté dans mon cœur de partir avec mon tout premier équipement neuf.
Chaque petit pas me rendait heureuse, comme le jour où j’ai obtenu ma carte de chargement chez IMTT. Plusieurs hommes m’avaient fait peur avec cet endroit, stipulant que les bras de chargement sont difficiles à mobiliser et à cliper, que je ne serais jamais capable de charger là-bas.
Et bien, laissez-moi vous dire que j’y ai chargé plus d’un B-Train!

J’ai eu l’occasion de m’emplir de fierté à plusieurs reprises, chaque fois qu’un chauffeur vient m’aborder à la raffinerie pour savoir si je travaille sur le pétrole depuis longtemps. Leurs grands yeux ronds quand je réponds “plus de deux ans” me fait toujours rire.
Chaque fois qu’un étranger vient m’aborder chez les clients (nous livrons principalement dans les stations-services) pour me dire ‘’Où est le chauffeur? Tu aides pour la livraison, ce n’est pas toi qui conduis ça?’’
Ainsi qu’à chaque occasion qu’un automobiliste m’envoie la main avec un grand sourire parce qu’il vient de remarquer que c’est une femme au volant. On m’a même déjà demandé ‘’ Tu transportes quoi là-dedans? Pas une femme qui transporte du gaz certain’’. Comme si c’était réservé uniquement aux hommes… BIN OUI, je me promène avec une bombe dans le cul! Parfois même deux quand je pars en B-train.

Ma réussite dans le transport de produits pétroliers a inspiré les compagnies à engager des femmes, et j’en suis très heureuse. J’ai d’ailleurs motivé d’autres femmes à faire le saut, dont certaines qui ont travaillé dans le métier plusieurs mois, voire une année!
Pourquoi la Chicks de la raffinerie? Simplement un petit surnom affectif qu’on a attribué à la jeune demoiselle blonde qui se promène avec un casque rose. ?

Projet d’avenir
Avec tout ce qui a été médiatisé à mon sujet à l’hiver 2021, ma récente grossesse n’est un secret pour personne. Je suis nouvellement maman depuis peu et je devrai trouver un moyen de concilier ma nouvelle vie avec mon métier.
Mon but premier est de demeurer sur le pétrole, c’était mon rêve et ça l’est toujours. En revanche, l’horaire est peu favorable pour une maman. Voyons ce que l’avenir me réserve.
En guise de conclusion, j’aimerais passer un message aux camionneuses du Québec, ne vous laissez pas influencer. Si vous aspirez à travailler de vos mains, que ce soit sur le pétrole, le fardier, le flatbed, le bois, le dompeur, l’over size ou même le remorquage, FONCEZ !! Une femme motivée, rien ne peut l’arrêter.
D’une camionneuse à une autre, nous exerçons le plus beau métier du monde, nous nous développons sans cesse et nous prouvons la place des femmes dans ce métier non conventionnel. Il faut suivre ses ambitions et se permettre de vivre nos rêves.

4 Commentaires
Je travaille aux rampes comme homme de cour, ton texte est très beau. Je te souhaite une belle et longue carrière. Très content de t’aider au besoin aux rampes…
Wow tu es vraiment inspirante! ❤️ Moi j’ai commencé le métier tard…à 48 ans. Je n’ai jamais été aussi heureuse de toute ma vie depuis que je suis devenue camionneuse.! Bye xx
J’ai expérience dans la citerne carburant
Je travaille actuellement chauffeur classe 1 citerne carburant à se jour la
Une femme inspirante…oui, tu l’es parfaitement. Pour ma part, le camion est une 2 ième carrière. d’abord enseignant de mécanique (34 ans) et chauffeur occasionnel depuis 17 ans en citerne…(J’ai fait CFTC en 2005) j’aimerais bien me rendre à 80 ans (J’ai 76 ans)…le camion est une vraie passion pour moi…. Bravo pour ton bel accomplissement….J’adore voir des femmes au volant de camions…